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Débat

Ces femmes qui relisent la Bible

La pasteure Elisabeth Parmentier et le rabbin Pauline Bebe s’interrogent, à partir de leurs traditions respectives, sur la relecture des textes sacrés par les femmes et ses implications

Le thème du débat qui ouvrait la soirée du 6 mai, «Les textes sacrés relus par des femmes: révolution ou révélation?», s’inscrivait dans celui de la cinquième édition du festival «Il était une foi» de l’Eglise catholique romaine de Genève: «Spirituelles ». Un festival centré, du 8 au 12 mai, sur les femmes, leur vécu, leur cheminement spirituel, leur combat et leur engagement (voir Echo Magazine no 18 p. 26-27). «Peut-on être à la fois croyante et féministe? » La question posée par la journaliste et réalisatrice Carole Pirker pour lancer le débat touchait d’emblée le coeur du sujet: la place et le rôle des femmes dans l’Eglise. Face à face, deux tenantes de la théologie féministe, Elisabeth Parmentier, professeure en théologie pratique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Genève et vice-doyenne, et Pauline Bebe, de la communauté juive libérale, première femme rabbin de France après la guerre.

TRANSFORMER DE L’INTÉRIEUR

Croyante et féministe? «Il est normal de l’être, a répondu Elisabeth Parmentier. Et il le faut, en réinterrogeant des textes dont le sens s’est figé. Ces deux horizons se corrigent mutuellement: le féminisme empêche le christianisme de se rigidifier et le christianisme donne au féminisme un sens différent ». Pauline Bebe ne voit «aucune opposition» dans ces termes, et «le féminisme interroge sur l’image de Dieu: patriarcal ou promouvant l’égalité entre hommes et femmes?». Leur engagement à toutes deux ne cautionne-t-il pas une religion aliénante? «Ce n’est pas la religion qui est aliénante, mais les interprétations cimentées par des stéréotypes: quelle image de la femme a-t-on projetée dans ces textes?», a lancé la pasteure. Pour le rabbin, «il faut transformer la religion de l’intérieur pour la faire évoluer». Et rester vigilant: «Rien que le récit de la création, dans la Genèse, propose un double regard sur la femme dont un, sexiste, a été repris par certains groupes religieux». Ainsi, nos choix ne sont pas innocents. Et l’Eglise catholique? «On ne trouve aucune femme dans les postes à responsabilité et les instances de décision – liés au ministère sacerdotal, réservé aux hommes, a relevé Elisabeth Parmentier. La responsabilité y seraitelle un obstacle à l’égalité des sexes?» Elle a plaidé pour ne pas limiter aux ministères la question de la place de la femme dans l’Eglise et rappelé la diversité des charismes, à valoriser pour éviter d’assigner à la femme, selon sa nature, une fonction qui détermine un rôle – maternel.

 POUR UNE LECTURE CRITIQUE

A cet égard, les textes sacrés sont précieux «à condition de dépasser les stéréotypes. On peut en faire plusieurs lectures qui s’autocorrigent. Ils ne sont pas intouchables, ils sont à commenter avec une liberté critique». C’est ce qu’ont tenté une vingtaine de théologiennes protestantes et catholiques

dans Une bible des femmes (voir encadré). «Sortons d’une lecture patriarcale de la Bible qui use de stratagèmes pour orienter le sens jusque dans les titres, a-t-elle plaidé. Et prenons conscience de la richesse des textes: les simplifier leur fait perdre leur mordant. » Autre chantier: le travail sur le langage symbolique qui, trop souvent, réduit les femmes à un rôle: Marie vierge et mère; Madeleine la prostituée; Marthe et Marie, l’active et la contemplative. Le texte biblique est autrement plus profond et diversifié! Pour Pauline Bebe, «la critique rend le texte vivant, d’autant que la langue hébraïque laisse au lecteur le choix des voyelles – on ne peut lire sans commenter! A chaque personne sa lecture, c’est ce qui sauve le texte».

LA PEUR DE L’AUTRE

La Bible ayant été essentiellement rédigée par des hommes, on y trouve peu de passages qui proclament l’égalité entre l’homme et la femme: «La femme c’est l’autre, radicalement différent, dans un monde où son corps fait peur – les menstruations, le sang l’excluent du sacré, une conception héritée de la philosophie grecque qui séparait l’âme et le corps», a relevé Pauline Bebe. La femme est associée à la sexualité: c’est elle qui détourne l’homme de son devoir, d’où la nécessité de la voiler. Là encore, «c’est une lecture dévoyée de la Genèse. Car dans le judaïsme, l’âme et le corps ne font qu’un». Tout comme dans le christianisme. Une lecture féministe de la Bible débusque bien des concepts véhiculés par la philosophie héritée d’Aristote, comme la méfiance envers le corps. «Créée en second, la femme a été identifiée à un corps plus imparfait. Aristote l’assimilait même à un mâle manqué! Et l’accent porté sur la chasteté, dans le sillage des Pères de l’Eglise, a dévalorisé le corps de la femme, fait pour la procréation.» La lecture féministe prend en compte sa redécouverte: «Nous sommes un corps, a souligné Elisabeth Parmentier, la corporéité est l’espace qui nous rend sensibles et pensants, en opposition à une vision sexualisée du corps».

RETROUVER L’ESPRIT DU TEXTE

 Comment sortir des stéréotypes? En relisant le texte biblique à frais nouveaux. Elisabeth Parmentier y voit «une entreprise fidèle à l’esprit du texte au-delà de sa domestication, une démarche honnête vis-à-vis de l’histoire qui vise à rétablir l’homme et la femme dans l’estime mutuelle et le partenariat dans l’amitié, à les sortir des rôles qui leur sont assignés». Pour Pauline Bebe, «il faut relire la Bible pour répondre au besoin de spiritualité de l’être humain, rétablir la justice et inspirer les jeunes générations ». Et pour donner toute leur place aux femmes dans l’Eglise, «il ne faut pas se contenter de dénoncer, a conclu Elisabeth Parmentier. Il faut valoriser leur travail et leur engagement – tant de femmes sont formées et capables de prendre des responsabilités en Eglise –, avoir le courage de se mettre ensemble et de s’affirmer». Si le chemin est encore long et les peurs bien ancrées, les deux invitées ont salué une prise de conscience réelle.

 Geneviève de Simone-Cornet
paru dans ECHO Magazine